Congrès AMRF – La Pommeraye – 22 octobre 2005
Eléments pour une réflexion nouvelle sur l’école primaire en milieu rural
Résumé du rapport de Alain Mingat et Cédric Ogier – Décembre 2003
Faut-il reconsidérer la politique de regroupement des élèves de l’école primaire suivie depuis les années soixante en milieu rural ? Les directives éducatives en matière de carte géographique scolaire étaient basées sur l’argument pédagogique selon lequel il était préférable de constituer des classes regroupant des élèves appartenant à un seul cours, le mélange d’élèves de cours différents étant considéré comme défavorable aux apprentissages. Ces choix ont impliqué la fermeture d’écoles dans de nombreux villages, l’organisation de regroupements avec la constitution d’écoles/classes offrant certains cours (la totalité des cours n’étant pas systématiquement assurée dans la même école) et accueillant les enfants de plusieurs villages, et en conséquence un renforcement des transports scolaires. Les résultats des travaux menés par Alain Mingat, Christine Leroy-Audouin, et Cédric Ogier (dans le cadre de l’Institut universitaire professionnalisé de Dijon et de l’Institut de recherche sur l’économie de l’éducation, CNRS-Université de Bourgogne) remettent en question ces choix. Leurs recherches montrent en effet que les élèves qui fréquentent les classes à plusieurs cours ont en fait de meilleurs résultats que ceux qui sont scolarisés dans des classes regroupant uniquement des élèves de même niveau éducatif. Comme ces dernières impliquent plus de transports scolaires en étant pédagogiquement moins efficaces, un nouvel arbitrage des ressources consacrées à l’école pourrait être envisagé, entre celles des transports (financés par les collectivités locales) et celles de fonctionnement des écoles (financé par l’Etat).Ceci supposerait un
assouplissement des relations entre l’Etat et les collectivités locales.Par sa fonction à la fois pratique et symbolique, l’école peut être un élément décisif de la survie des zones
rurales. Il y a un siècle, chaque village avait son école. Depuis, l’exode rural et le vieillissement de la population n’ont cessé de réduire le nombre des élèves. La politique de regroupement scolaire menée depuis trente ans en milieu rural a modifié le mode de scolarisation : fermeture d’écoles, regroupement de classes assurant le même cours, développement des transports scolaires financés par les collectivités locales et les Conseils généraux. Cette solution, plus économique pour l’Etat, était aussi considérée comme préférable sur le plan pédagogique : en effet, il semblait évident que les classes regroupant des élèves d’un même cours donneraient de meilleurs résultats que celles où le maître dispensait seul son enseignement à des élèves de plusieurs cours.
L’IREDU (Institut de recherche sur l’économie de l’éducation, CNRS-Université de Bourgogne) vient de publier les résultats de trois enquêtes menées par Christine Leroy-Audouin et Alain Mingat dans des cantons ruraux de la Saône et Loire et de l’Yonne afin de mesurer l’impact pédagogique des regroupements scolaires. Ces enquêtes ont pris pour critères les acquis scolaires, les redoublements et l’intégration aux collèges. Les élèves ont été sélectionnés sur des critères socio-démographiques comparables et étaient scolarisés dans des écoles représentant les trois types de regroupement pouvant exister : cours simple (un maître, un groupe d’élèves appartenant à un même niveau), classe à cours multiples (un maître avec un groupe d’élèves appartenant à deux, trois ou quatre cours), classe unique (classe qui regroupe des élèves de tous les niveaux du primaire, c’est-à-dire cinq).
Les résultats soulignent les aspects particulièrement positifs des classes uniques, dont les élèves ont des acquis supérieurs à ceux des élèves de cours simples. Dans la standardisation commune des épreuves d’acquisition individuelle, l’écart est de 3,9 points en fin de CE2 et de 4,8 points à l’entrée en 6e ; ceci est substantiel lorsque l’on sait que la différence de réussite entre enfants de cadres et d’ouvriers s’élève à 9 points.De façon plus générale, l’efficacité pédagogique des classes à plusieurs cours est reconnue dans la mesure où quel que soit le nombre de cours dans la classe, jamais les élèves ne progressent moins bien que dans les classes traditionnelles à un seul cours, jugées pourtant les meilleures.
L’interprétation de ces résultats passe par l’analyse des pratiques pédagogiques des enseignants, dont la recherche montre qu’elles varient selon le type de classe géré par le maître. Il s’avère en effet que dans les cours multiples, les élèves sont à la fois plus autonomes et plus fréquemment en situation de travail et notamment de travail personnel ; En classe à cours simple en revanche, si les enseignants sont en moyenne plus directifs, leur gestion du temps est beaucoup plus lâche et leurs élèves ont un temps de travail personnel plus faible. L’analyse des redoublements lors de l’intégration au collège confirme les bons résultats des classes uniques. En effet, les meilleurs résultats scolaires en 6e concernent les élèves ayant fréquenté en primaire des cours multiple (+3,9 points par rapport aux élèves ayant fréquenté des classes à cours simple), et plus encore une classe unique (+6,4 points). Au-delà de la stricte réussite scolaire, il apparaît que l’institution valorise les qualités de ces élèves (plus grande autonomie, meilleure organisation du travail personnel…) dans la mesure où leur probabilité de redoubler est plus faible que celle d’élèves, de niveau scolaire comparable en 6e , mais ayant été scolarisés en classe à cours simple durant le primaire.Ces travaux rejoignent les résultats d’études précédentes (1). Dès 1993, les recherches menées par Alain Mingat et Cédric Ogier remettaient en cause la politique de regroupement scolaire des élèves du primaire en milieu rural, dans une analyse des coûts globaux associés à la carte scolaire. L’étude a porté sur cinq cantons de la Nièvre, comptant 73 villages ou bourgs, avec un effectif de 1 624 élèves à scolariser.
L’année scolaire de référence était 1992-1993 : 79 classes ont fonctionné au sein de 34 écoles, localisées dans
28 communes.Ces deux chercheurs ont calculé le coût global des écoles sur la zone, en tenant compte non seulement de leurs frais de fonctionnement, mais aussi des dépenses de transport. Ils ont travaillé par simulations, en faisant varier le nombre d’écoles, et par conséquent, le volume des transports, les deux configurations-limites étant celle où l’on aurait des écoles assurant tous les cours dans chaque commune (pas de transports) et celle où l’on aurait une seule grande école pour couvrir les besoins des élèves de toutes les communes (transports maximum). Ceci pour un nombre maximum d’élèves compris entre 22 et 30 par classe et un coût de transport tel qu’il a été calculé par les services du Conseil général de la Nièvre, à savoir 0,69 F par élève/km. Les auteurs prennent soin de préciser que les résultats de ces simulations ne sont pas extensibles à toutes les zones rurales. Néanmoins, ils sont suffisamment étayés pour inviter à la réflexion. Passer des 28 écoles actuelles à 38 représenterait une augmentation globale des dépenses de 5 %. Passer de 38 à 50 écoles, coûterait 8 % de plus.
Leur conclusion est que, dans les limites de l’enveloppe financière actuelle globale, il subsiste d’importantes marges de manoeuvre pour aménager la carte scolaire (plus d’écoles et moins de transports) et rendre le mode de scolarisation plus efficace. Mais la vraie difficulté n’est pas d’ordre financier : elle tient au partage des compétences entre l’Etat et le Département. Au premier revient la charge du fonctionnement des écoles. A ce titre, c’est lui qui, à travers l’Inspection académique, établit la carte scolaire. Celle-ci répond par priorité aux préoccupations de l’Etat. Au Département ensuite d’assurer la charge des transports que cette carte induit. Dans ces conditions, si l’on décidait par exemple de passer de 28 écoles à 40, c’est-à-dire d’en rouvrir 12, la charge supplémentaire devrait être supportée par l’Etat alors que le Département ferait des économies de transport. Le réaménagement de la carte scolaire rurale est donc lié à un assouplissement des relations entre l’Etat et les instances locales.
Ces résultats de recherche rejoignent certaines réflexions administratives récentes, notamment en relation avec la nouvelle politique des cycles à l’école primaire ; si une ouverture paraît se faire dans les écoles urbaines où des fonctionnements alternatifs aux cours simples sont envisagés, ces résultats invitent à une réflexion renouvelée pour l’organisation de l’école primaire en milieu rural.
(1) Une étude menée par l’IREDU en 1993 et portant sur les élèves de CM2 fait apparaître une différence de 4 points en faveur des classes à cours multiples.
Une étude de F.Oeuvrard (Direction de l’évaluation et de la prospective,1993), Les performances des petites écoles, le cas des classes uniques, confirmait cette tendance.
(D’après CNRS-Info numéro 328 (15/09/96)